L'objet-manifeste La Boussole des possibles
Petite histoire d’une boussole inhabituelle
En se mondialisant les sociétés ont perdu le Nord, que chaque collectif humain avait défini à sa manière selon ses croyances présentes et sa mémoire d’un passé commun. À l’échelle planétaire, c’est par anticipation que notre humanité plurielle pourrait prendre conscience de son destin commun. Guidée par la métaphore du souffle, j’ai imaginé une rose des vents pour repérer les vents principaux de la mondialisation (Sécurité, Liberté, Compétition, Coopération), puis les vents « d’entre les vents » (Exclusion, Intégration, Innovation, Conservation). C’est pourquoi une rose des vents figure sur la couverture de mon livre Aux quatre vents du monde (2016).
À mesure que ce livre s’écrivait, et que se dévoilait le grand désordre du monde, la rose s’est transformée en une ronde des vents dont le mouvement d’ensemble paraît imprévisible et inintelligible, à moins de transformer le tourbillon de vents contraires en un ordre acceptable par tous. Il est vrai que ni la rose des vents, ni la ronde, n’indiquent une direction. Tout dépendra donc des acteurs de la mondialisation.
Je les évoque dans le dernier chapitre à travers un apologue intitulé Au congrès des vents, titre d’un poème d’Edouard Glissant racontant que les « vents de l’univers s’étaient réunis ». À la fin du poème surgit un « petit souffle innomé venu de sa campagne écouter ses frères immenses ». Muet dans le poème, ce petit souffle devient un personnage essentiel dans le livre, où il symbolise le citoyen du monde et son souffle vital, expliquant aux grands acteurs médusés qu’il n’est nul besoin d’un maître des vents car il pourrait perdre tout contrôle ou devenir un tyran. Il suffirait que chaque individu et chaque collectif humain prenne en charge sa part du destin de la planète, même en suivant sa propre route.
Nous en sommes loin et c’est pourquoi nous avons besoin d’une boussole un peu inhabituelle. Elle ne comportera pas de flèche indiquant le pôle nord mais son centre pourra accueillir un régulateur symbolique, à la fois stabilisateur et pacificateur, permettant d’adapter le cheminement au gré de la nature et des vents. En ce lieu d’équilibre dynamique pourront se rencontrer, s’il est encore temps, les chemins d’un humanisme nouveau qui associera plusieurs visions de l’humanité (fraternité, égale dignité, solidarité planétaire, créativité). On l’aura compris, l’objectif n’est ni de prédire, ni de prescrire un ordre mondial encore virtuel.
Dans un monde déboussolé, la Boussole des Possibles sera conçue comme un acte de résistance au désespoir et à la violence. Elle aura l’ambition, à sa modeste mesure, de rendre manifestes les dynamiques à l’œuvre, pour réconcilier des vents opposés comme sécurité / liberté, compétition / coopération, exclusion / intégration, innovation / conservation.
Convaincue qu’une représentation artistique donnerait plus de consistance à cette prise de conscience urgente, j’ai pris l’initiative, lors d’une rencontre avec le plasticien-bâtisseur Antonio Benincà, de lui proposer de réfléchir à une sculpture-manifeste. Je le connaissais peu mais j’avais visité ses « maisons bulles ». Découvrant ses talents « d’intellectruel », comme il se définit lui-même, j’ai pensé qu’un tel artiste, aussi agile pour manier les idées que la truelle, saurait exprimer avec justesse par la matière les thèmes majeurs de mon livre.1
La création de plus près
La Boussole des possibles, le documentaire
Réalisation : François Stuck | Production : IDÉtorial | Durée : 20′ 36″ | Date de diffusion : 14 février 2022
Une Boussole des possibles, l'œuvre
Réalisation : Clément Gaumon | Production : Mireille Delmas-Marty | Durée : 4′ 44″ | Date de diffusion : 24 janvier 2020
- Delmas-Marty, Mireille. Extrait de ses échanges avec Antonio Benincà, 2018 - 2019